La sortie d’une réplique miniature et moderne de la NES, console mythique de Nintendo, est l’occasion de faire le point sur une tendance qui ne se dément pas : l’amour inextinguible des joueurs pour les anciens jeux.

« Le retrogaming, c’est quoi ? »

La définition du retrogaming n’existe pas vraiment. Tout juste peut-on s’accorder sur le fait que le terme fait référence à la pratique du jeu vidéo sur des machines n’étant plus produites ou commercialisées. Ajoutons qu’aujourd’hui, la plupart des passionnés de la discipline concentrent leur passion sur des jeux réalisés en 2D, issus d’une période allant jusqu’au milieu des années 90. Mais, à l’avenir, cette règle devrait évoluer avec les joueurs, et les premiers jeux 3D sur PlayStation, Saturn ou Nintendo 64 devraient occuper le cœur du retrogaming des prochaines générations.

Mini-console pour maxi-tendance

Les constructeurs officiels ont désormais compris le potentiel commercial et l’appétit des joueurs pour une offre rétro de qualité. Ainsi, qui mieux que Nintendo pour proposer une machine offrant une sélection de trente jeux cultes issus de la NES ? Cette console dédiée au retrogaming, en version miniature et dotée d’un design à la fois irrésistible et peu encombrant, se branche tout simplement à un téléviseur via son port HDMI et propose divers réglages pour embarquer le joueur dans un voyage de pixels vers le passé du jeu vidéo. Et la réussite du projet est telle qu’à quelques semaines de Noël, la rupture de stock a été immédiate dans de nombreux pays, dont la France. La Nintendo Classic Mini est une véritable démonstration de l’intérêt des joueurs pour le retrogaming, chiffres à l’appui. En effet, au Japon et en seulement une semaine de commercialisation, ce sont plus de 260 000 exemplaires de la Famicom Mini (la version japonaise de la NES) qui ont trouvé acquéreur. La nostalgie est bien l’un des moteurs essentiels de cette envie de replonger dans le passé, à l’heure où le japonais Nintendo se faisait pour la première fois un nom en dehors des frontières de l’archipel. Toutefois, loin d’être l’unique explication du phénomène, l’aura du constructeur historique trouve surtout écho dans l’évolution du média et de ceux qui s’en nourrissent. 

Pourquoi un tel essor ?

Selon nos études menées par GfK, l’âge moyen du joueur français en 2016 est de trente-quatre ans. Cet âge moyen correspond à une génération qui, en 1987, au moment du lancement de la NES en France, avait cinq ans. Autant dire que ces femmes et ces hommes auront été marqués par un tel événement, dans un contexte n’ayant rien à voir avec la situation du jeu vidéo actuel. Aujourd’hui, un Français sur deux déclare jouer régulièrement aux jeux vidéo, mais combien étaient-ils en 1987 ? Moins ancré dans les mœurs, le jeu vidéo était aussi un loisir plus onéreux. Pour acquérir une NES flambant neuve sur le sol français, il fallait débourser, à l’époque, 1490 francs, soit environ, aujourd’hui, 370 euros en tenant compte de l’inflation. Les enfants ayant connu cette période, devenus grands, peuvent donc assouvir une certaine forme de revanche en se procurant l’objet de leurs désirs passés. D’autres machines mythiques ont su créer autour d’elles des générations de passionnés différents ; les adorateurs de la Master System, de la Megadrive, de la Super Nintendo ou même de la cultissime Neo-Geo s’arrachent aujourd’hui les titres les plus rares sur les sites de petites annonces dédiés. Mais la quête de cette madeleine de Proust vidéoludique amène à affronter une autre réalité, celle de productions de jeux plus confidentielles durant les années 80 ou 90 que pour nos blockbusters de 2016. Le pouvoir d’achat des trentenaires nostalgiques se retourne alors contre eux, les jeux les plus rares voyant leurs prix s’envoler, littéralement.

Ventes aux enchères

Présent très tôt sur le célèbre site d’enchères eBay, le jeu vidéo s’invite désormais dans les plus prestigieuses salles des ventes. Depuis quelques années, Millon s’est ainsi intéressé au média via quelques ventes dédiées attirant amateurs éclairés, collectionneurs fortunés ou simples curieux. Il faut dire que les sommes demandées pour certaines pièces rares sont telles que les exigences ont changé en l’espace de quelques années. Le plus grand sérieux est demandé au vendeur, accompagné d’un besoin de sécuriser la transaction et, bien sûr, d’authentifier les produits. Appât du gain oblige, les faux peuvent littéralement proliférer dans le sillage des titres les plus rares. L’état de conservation de l’objet vendu fait également partie de toutes les attentions, capable de changer radicalement son prix de vente. Une cartouche Super Nintendo en « lose », sans sa boîte ni sa notice, ne s’échange que rarement au-delà d’une dizaine d’euros. La même cartouche dans sa boîte d’origine, avec sa notice et encore sous blister peut facilement dépasser plusieurs centaines, voire milliers d’euros selon sa rareté. Durant l’été 2013, le jeu GoldenEye 007 sur Nintendo 64, immaculé dans son blister d’origine, a été vendu pour la somme incroyable de 9 800 euros. L’appât du gain a changé le visage des brocantes jeu vidéo d’autrefois, laissant croire à chaque possesseur d’un vieux jeu qu’il disposait d’un trésor. Il fallait donc qu’une organisation à but non lucratif prenne en main la préservation de tout un pan de notre pop culture. 

Tout un patrimoine

L’association type loi 1901 MO5.com s’attelle à la tâche difficile de recenser, récupérer et conserver un maximum de jeux vidéo, rares ou non, dans leur état d’origine. L’aventure de ces passionnés débute en 1996, avec la création d’un site Internet sous la forme d’une base de données géante. Aujourd’hui, la collection amassée par les membres de l’association est la plus grande du genre en Europe, une véritable fierté nationale, mise à disposition de toute institution patrimoniale s’intéressant au média, mais aussi de simples passionnés. Les membres de MO5.com organisent et participent également à de nombreux événements, expositions, salons autour du jeu vidéo, exposant alors quelques-unes de leurs pièces de musée, inestimables. Au fil du temps, l’association a élargi son champ d’action aux magazines, bornes de démonstration, matériaux publicitaires, comme pour témoigner de l’époque contemporaine aux machines qu’elle sauvegarde. Outre les grands classiques les plus populaires, la collection compte aussi des consoles et ordinateurs rarissimes, produits à très peu d’exemplaires, éveillant la curiosité des spécialistes. Autre contributeur appréciable de la préservation des jeux vidéo en France, la Bibliothèque nationale de France (BNF) conserve plus de 15 000 jeux vidéo dans ses archives, plus de vingt-cinq ans d’histoire du jeu vidéo consignée soigneusement, sur tous les supports. A chaque parution sur le territoire, un exemplaire est archivé, depuis l’époque glorieuse de l’Atari ST jusqu’à nos jours.

Un avenir aussi en dématérialisé

Comment faire pour jouer aux jeux de son enfance sans squatter les impressionnantes collections de MO5.com ou de la BNF, ni dépenser des sommes folles ? Les éditeurs de jeux ont trouvé une solution moins coûteuse et moins complexe à mettre en place qu’avec des exemplaires originaux : l’émulation. Une pratique qui permet de jouer à des titres antiques sur des consoles récentes, moyennant des sommes le plus souvent modiques. La montée en puissance du rétro se traduit donc par la vente de jeux culte au format dématérialisé sur le PlayStation Network, le Xbox Live ou l’eShop de Nintendo. Ces jeux bénéficient souvent d’un traitement leur permettant d’afficher un meilleur rendu sur nos téléviseurs modernes, de jouer à plusieurs, et donc de partager ces souvenirs d’enfance avec des générations plus jeunes, comme une sorte de passage de témoin. Qu’on soit collectionneur, joueur, ou les deux à la fois, les différentes offres répondent désormais à tous les besoins du nostalgique comme du passionné. Le succès retentissant de la Nintendo Classic Mini pourrait bien renforcer encore ce marché, assurant au retrogaming de belles années devant lui et au jeu vidéo la pérennité de son histoire, la préservation de sa propre culture : un jeu doit se jouer pour exister ! 

Reportage