Hugues Ouvrard, Directeur France de Xbox et Administrateur du SELL
On peut tout à fait être populaire, comme l'est le jeu vidéo, être divertissant même, et revendiquer néanmoins son identité artistique et culturelle.

Article publié sur le site Huffington Post :

Le 21 décembre, sort en salles Assassin's Creed avec Marion Cotillard, Michael Fassbender et Jeremy Irons, trois des plus grandes figures du 7ème art actuel. Ce film, directement inspiré de la saga de jeux vidéo à succès du même nom développée par Ubisoft, repousse une nouvelle fois les limites entre le jeu vidéo et le monde de l'Art.

Si toutefois ces limites existent encore. En effet, depuis 1992 et la loi sur le dépôt légal, la Bibliothèque Nationale de France a pour mission de collecter et d'enregistrer les jeux vidéo. De fait, le jeu vidéo est donc reconnu comme un élément de notre patrimoine, au même titre que les films ou les livres par exemple.

Pourtant, j'entends encore ici ou là, des interrogations sur la légitimité de cette démarche et sur la légitimité artistique ou culturelle du jeu vidéo. Une question étonnante à l'heure où le jeu vidéo est devenu une composante indiscutable des pratiques culturelles de notre société. Plus que jamais le vidéo est un objet culturel, et plus que jamais il s'impose comme un objet artistique.

De façon croissante, on assiste en effet à un renversement de la dialectique entre le jeu vidéo et le monde artistique.

Après avoir vu l'apparition de jeux adaptés de films, puis de films inspirés de jeux, comme Pixels, on constate aujourd'hui une interpénétration croissante entre le jeu vidéo et les autres pratiques culturelles. Mieux, le jeu vidéo influence désormais de façon majeure les autres genres artistiques : que ce soit l'exposition Carte Blanche à Tino Sehgal au palais de Tokyo – qui vous invite à échanger et à dialoguer avec des personnes réelles, des « personnages non joueurs », un des fondamentaux du jeu vidéo ; que ce soit les séries telles que Westworld sur HBO, produite par JJ Abrams (réalisateur de Star Wars : Le Réveil de la Force, ou de Lost) – qui reprend en permanence les codes du jeu vidéo, dans son principe même, mais également au niveau des dialogues ; que ce soit la littérature avec les romans de Bret Easton Ellis – dont les références intermédiales au jeu vidéo sont multiples; que ce soit enfin la musique, avec, par exemple, Kavinsky – dont le premier album Outrun reprend le nom d'un jeu vidéo, et qui a lui-même proposé son propre jeu.

On le voit, le jeu vidéo est partout dans la création artistique contemporaine, comme il est, aujourd'hui, partout dans notre vie quotidienne.

Au fond, la question de savoir si le jeu vidéo est un art ou un produit culturel ne se pose plus. J'ai la conviction, comme la chanteuse Juliette, lorsque qu'elle évoque le jeu vidéo comme un « art naissant », qui n'a au fond qu'une quarantaine d'années, que ce jeune âge est la principale raison pour laquelle certains esprits rétrogrades continuent de ne voir en lui qu'un passe-temps pour adolescents. Comme souvent c'est la méconnaissance qui tient lieu d'argument.

D'une part, parce que le jeu vidéo est la première pratique culturelle des Français de moins de 50 ans, et que l'âge moyen du joueur de jeu vidéo, dans sa grande diversité, est désormais de 34 ans.

D'autre part, et c'est sans doute le plus important, parce que le jeu vidéo propose aujourd'hui une grande variété d'œuvres, des blockbusters aux jeux indépendants, qui sont souvent des pépites artistiques et créatives.

Une proposition qui est finalement très proche de celle de l'univers du cinéma, dans laquelle tous les genres sont représentés, thriller, comédie, romance, science-fiction, ou encore, il est vrai, de l'action. Le cinéma n'est pas un ensemble homogène, il regroupe une grande diversité, c'est également le cas du jeu vidéo. Et jamais les blockbusters hollywoodiens sortant chaque année dans les salles n'ont privé le cinéma de son statut de 7ème art.

On peut donc tout à fait être populaire, comme l'est le jeu vidéo, être divertissant même, et revendiquer néanmoins son identité artistique et culturelle.

Cette opposition entre divertissement et art, entre Entertainment et Sacré, réflexe très français, perd de son sens avec l'avènement de la culture populaire. Expression qui reste encore péjorative, mais qui passe mieux dans notre beau pays quand on parle de Pop culture. Vous me répondrez que la Pop Culture a 70 ans, quand le jeu vidéo, jeune quadra, a encore tout à prouver. Et vous aurez en partie raison. L'un des enjeux de notre secteur est d'asseoir sa légitimité culturelle, à l'image de la BD qui a su gagner ses lettres de noblesse. Je suis convaincu que ce n'est qu'une question de temps, voire une question démographique ! Alors à quand Michel Ancel à l'Académie Française ?

Et puis, avec l'essor de cette Pop Culture, les limites entre Entertainment et Culture sont de plus en plus floues... Cela n'enlève pourtant en rien sa dimension « sacrée » à cette dernière.

La Pop culture englobe le cinéma, la mode, la télévision, la littérature, la bande dessinée et le jeu vidéo. Et ce dernier est même en réalité un projet culturel hybride, véritable laboratoire qui place l'innovation au service de la création, la beauté au service de l'imagination, l'action combinée à la réflexion, le savoir au loisir et explore les frontières de l'immersion.

Lorsque vous riez au théâtre, lorsque vous frissonnez devant un film de Xavier Dolan, quand vous vous immergez dans la révolution Française en jouant à Assassin's Creed, ou lorsque vous assistez à une exposition d'envergure sur Barbie au Musée des Arts décoratifs, vous êtes au cœur de cette Culture, avec cette si respectable majuscule, qui pourtant vous amuse.

Parce que, oui, l'Entertainment peut être culturel. Et la culture, divertissante.

Peut-il d'ailleurs en être autrement ?

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/hugues-ouvrard/jeu-video-art-culture/ 

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